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Tomber dans la gueule du loup !

Dans le cadre de notre série d’articles sur les contes et légendes de Lorraine, voici l’histoire de Jeanne de Vaudémont, sauvée par l’animal le plus redouté de Lorraine.

parchemin contes et légendes

Sur le plateau de Malzéville se trouve un petit bâtiment religieux nommé la gueule du loup. Donner un nom à un bâtiment est une façon de rendre hommage à ce nom. Pourquoi alors honorer un animal que les hommes craignent ? Ce mystère trouve son origine dans une légende vieille de 600 ans

Elle a vu le loup

Jeanne de Vaudémont était une jeune fille vive et espiègle, très aimée par son oncle le bon duc René, qui l’élevait comme sa fille. Jeanne  savait lire, coudre et jouer de la musique, mais ce qu’elle préférait, c’était les longues promenades dans les prés et les bois. Seulement, toujours accompagnée, elle n’avait jamais connu la liberté totale.

L’histoire raconte qu’un jour, alors qu’elle s’ennuyait dans son château, elle a profité du sommeil de sa suivante et s’est enfuie du château. Son but était bien innocent : elle voulait seulement cueillir des fleurs en forêt.

Arrivée dans le bourg, tous les villageois la mettaient en garde contre le loup, mais Jeanne ne les écoutait pas. Elle s’enfonça dans les bois et finit par perdre son chemin.

C’est alors qu’un méchant homme, hirsute et crasseux, se serait approché d’elle en lui disant : “ je suis Armand de Dieulouard. Ton père m’a banni, mais aujourd’hui, je tiens ma revanche. Je demanderai une rançon en échange de ta vie !”

Jeanne se voyait déjà séquestrée au cœur de la forêt, à la merci du bandit. Mais alors, un loup énorme a bondi de derrière un buisson et s’est jeté non pas sur Jeanne, mais sur l’homme, et s’est mis à le dévorer.

Jeanne perdu connaissance lorsqu’elle sentit le souffle du loup sur sa nuque. Elle n’avait pas peur car son regard n’avait rien de cruel. Elle s’est blottie contre lui pour dormir au chaud, et le loup ne partit qu’à l’arrivée de René et de sa troupe.

En reconnaissance de la bienveillance du loup, Jeanne a demandé à René d’interdire les chasses au loup et de construire une chapelle qui s’appellerait la Gueule-du-Loup. Cette chapelle existe encore aujourd’hui.

Le bien triomphe du mal

L’histoire est très intéressante parce qu’elle n’a rien à voir avec les autres légendes de Lorraine, qui font plutôt intervenir les saints ou Charlemagne dans le rôle du sauveur. Il est pourtant difficile de croire qu’un loup ait pu sauver une jeune fille en dévorant un homme, pour deux raisons :

  • Les loups craignent les hommes. Ils ne les attaquent que lorsqu’ils n’ont pas le choix, par exemple quand un hiver trop rude les pousse à aller chercher de la nourriture là où elle est : dans les villages.
  • Les loups attaquent toujours en meute. S’ils sont supérieurs en nombre, leur victime solitaire ne peut pas se défendre.

Un loup solitaire qui attaque un homme en plein printemps est un fait assez peu probable. Quant à la chapelle, elle n’a pas grand-chose d’une chapelle : on dirait plutôt un oratoire, c’est-à-dire quatre murs et un toit qui abritent une statue ou une croix.

Pourtant, la tête d’un loup est sculptée en relief sur le fronton de l’édifice, derrière une croix sur fond vert.

D’autres mentions au loup existent dans les parages : il existait autrefois un ermitage, une auberge, un ruisseau, un lieu-dit qui portent tous le nom de la gueule du loup. L’histoire est difficile à croire, mais elle plonge ses racines dans des connaissances communes auxquelles tout le monde croyait.

Et de fait, la légende a bien une explication historique, qui ne porte pas sur le loup, mais sur les personnages.

Jeanne a vraiment existé. Elle est née en 1458, et elle est la fille d’un duc de Nancy, Ferry 2. En revanche, René n’est pas son oncle, mais son frère aîné. La légende se déroule lorsque Jeanne a 16 ans, donc en 1474.

René, le bon duc René, est une figure importante pour l’histoire locale. Il a participé à la construction de la basilique de Saint-Nicolas-de-Port et a aussi fait construire le palais ducal de Nancy, de 1502 à 1512, que sa petite soeur n’a pas connu puisqu’elle est morte en 1480, à 22 ans.

Le plus grand mérite de René est d’avoir combattu Charles le Téméraire pendant la bataille de Nancy à la fin du 15e siècle. On peut penser alors qu’Armand de Dieulouard, personnage imaginaire, symbolise Charles le Téméraire.

Banni, proscrit, il est le méchant vaincu et terrassé par excellence. Il est même tellement méchant qu’il ne mérite pas de vivre parmi les hommes, et que mêmes les pires des animaux voient le mal en lui.

Cette légende est postérieure à l’époque de Jeanne, car elle célèbre la grandeur de René, qui a tant fait pour la Lorraine.

Surtout, elle dévalorise Charles le Téméraire, qui se fait attaquer par le plus dangereux des prédateurs. La légende a eu assez de force pour donner son nom à des lieux et des monuments, et pour immortaliser dans l’histoire locale l’éternelle lutte du bien contre le mal.

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