Au centre des attentions lors des Journées européennes du patrimoine, la Porte des Allemands fête actuellement les 10 ans de sa réouverture au public. Nous avons échangé avec l’historienne Mylène PARISOT, co-autrice de Les Paraiges – Au cœur de la République messine, pour en savoir plus sur ce lieu emblématique du patrimoine de Metz.
L’interview est disponible en format audio en bas de page.

Mylène Parisot, nous nous trouvons devant la Porte des Allemands, un édifice bien connu des Messins. Mais en connaissent-ils vraiment l’histoire ? Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quand a-t-elle été construite et pour quelles raisons ?
La porte date de 1230, peut-être même d’avant, probablement autour de 1216. La partie la plus ancienne est celle qui se trouve la plus proche du boulevard, avec ses deux tours coiffées de toits en poivrière. À l’époque, on circulait à l’intérieur de ces tours à l’aide d’un système d’échelles, car il n’y avait pas encore d’escalier. Progressivement, la porte s’est étoffée pour devenir ce que l’on connaît aujourd’hui. C’est un processus qui s’est déroulé sur plusieurs siècles.

Quand la deuxième porte va-t-elle être rajoutée ?
La porte du boulevard (située à l’opposé du quartier d’Outre-Seille) a été ajoutée à partir de 1445, sous la direction de l’architecte Henri de Ranconval. Il s’agit de deux tours de 10 mètres de diamètre, avec à l’avant un éperon. La partie la plus impressionnante n’est pas celle que l’on voit immédiatement, mais les fondations, qui ont été refaites à plusieurs reprises, notamment à partir de 1483, lorsque le pont situé juste derrière est devenu un pont-levis.

À l’origine, il n’y avait pas de fossé et on accédait directement à la porte depuis la terre ferme. Les magistrats ont ensuite décidé d’en creuser un pour renforcer les défenses. C’est à ce moment-là qu’ils ont découvert que les fondations avaient été mal construites, et il a fallu reprendre tout le gros œuvre. Cette reconstruction est bien documentée dans les chroniques de Philippe de Vigneulles.

À l’origine, on a ces deux premiers tours qu’on peut voir depuis le quartier Outre-Seille. À quoi ressemblait-elle à l’époque ?
C’était une porte relativement simple. La muraille n’était pas extrêmement épaisse, mais elle atteignait une hauteur d’environ sept ou huit mètres. Entre ces deux tours, un petit passage permettait de franchir la porte. Ce type de construction ressemblait beaucoup aux fortifications que l’on trouvait à Paris à la même époque, sous le règne de Philippe Auguste.
Comment s’imbriquait-elle dans le système défensif de la ville de Metz ?
Au XIIIe siècle, chaque porte fonctionnait selon le même principe, avec deux tours au centre et un système de herse. On y trouvait des assommoirs et des ouvertures de tir permettant de défendre la porte, bien que l’ensemble restait relativement sommaire. À mesure que la porte évoluait et se modernisait, il a fallu l’adapter. Metz, c’est la ville par excellence qui est convoitée par ses voisins, par les Lorrains, par le roi de France. Il a fallu mettre en place une fortification suffisamment volumineuse, dissuasive, pour calmer les envies de conquête des voisins. C’était aussi une manière pour la ville d’afficher sa richesse.

Cette porte qu’on voit actuellement, elle est restée dans la version de quelle année ? Il y a encore eu des modifications récentes ou a-t-on vraiment une porte historique ?
Cette porte a effectivement connu de nombreuses modifications. Les deux tours originelles du XIIIe siècle sont toujours visibles, mais d’autres étapes de construction sont également présentes. Par exemple, le pont-levis est devenu un pont maçonné au début du XVIe siècle. Le pont entre les deux portes, qu’on appelle le bail, a également été transformé. En 1480, des galeries ont été ajoutées de chaque côté du pont, et sous celui-ci, des salles de tir ont été aménagées en 1531.
Concernant la partie médiévale, la façade visible depuis Outre-Seille semble quelque peu artificielle. Cela s’explique par les rénovations effectuées au XIXe siècle, dans un esprit proche de celui de Viollet-le-Duc. Les Allemands, responsables de la restauration de la porte à l’époque, ont ajouté des éléments décoratifs correspondant à leur vision du Moyen Âge.

Revenons à l’histoire de cette porte. Imaginons que je sois un voyageur arrivant à Metz. Comment aurais-je franchi cette porte ?
On accédait à la ville par le boulevard Henri de Ranconval. À l’époque, une porte de ville faisait office de péage. Si vous étiez marchand et transportiez des marchandises, il fallait s’acquitter de taxes d’entrée. Une fois les taxes payées, vous passiez sous la herse pour pénétrer à l’intérieur de la ville.
Cette porte, elle a servi, justement, elle a été attaquée, elle a dû repousser des assauts ?
Metz a été attaquée à plusieurs reprises. L’événement le plus marquant où les fortifications, y compris la porte des Allemands, ont joué un rôle, est le siège de Charles Quint en 1552. À ce moment-là, on s’est rendu compte que nos fortifications étaient malheureusement en mauvais état. On a quelques indices laissant penser qu’il y a eu des combats à proximité de la porte, mais les affrontements les plus significatifs ont eu lieu au niveau de la porte Serpenoise. De véritables batailles importantes à la porte des Allemands, non, il n’y en a pas eu.
S’est-il passé des événements inhabituels à cette porte ? Y a-t-il des anecdotes que les Messins ignorent à son sujet ?
Il y a de nombreuses anecdotes et détails intéressants, notamment concernant son décor. Par exemple, la frise qui longe la Seille et qui se prolonge jusqu’à la Caponnière Dex est particulièrement remarquable. Tout le décor mérite une explication, car il reflète la pensée et l’humour de l’époque. Sur la Caponnière, on peut voir une représentation de Philippe Dex, la tête entre les jambes, une illustration qui témoigne de l’humour de l’époque.
La Caponnière Dex (cliquez sur les images pour les agrandir) :


Un événement marquant pour les visiteurs remonte aux années 1490-1491. Jean de Landremont, un magistrat de Metz, a trahi la ville en essayant de livrer la porte aux Lorrains. Sa trahison a été découverte, et il a subi de terribles tortures avant d’être exécuté. Ses membres ont ensuite été dispersés sur plusieurs portes de la ville en signe d’avertissement. Sa tête a été placée sur la porte du Pontiffroy, tandis qu’un autre morceau de son corps a été exposé sur un pic à la porte des Allemands, illustrant ce qui arrivait à ceux qui trahissaient la ville.
Une anecdote assez macabre, ce n’était pas une habitude, ce n’était pas une prison, un lieu de torture non plus, cette porte des Allemands ?
En effet, la porte des Allemands n’était pas destinée à être une prison ni un lieu de torture, même si elle a temporairement, me semble-t-il, abrité la guillotine de Metz à une époque beaucoup plus tardive. Ce n’était pas un lieu d’exécution habituel.
Finalement, quelles sont les grandes dates et événements marquants de l’histoire de cette porte ?
La période la plus significative dans l’évolution de la porte est celle de l’ajout de deux salles de Philippe Dex, dont une salle de tir située sous le pont, conçue pour défendre le lit de la Seille. Un élément particulièrement intéressant, que l’on peut voir au musée de La Cour d’Or, est un buste de la famille Dex. Ce buste est unique car il présente deux faces. On pense que l’une regardait vers l’extérieur de la ville, en hommage aux responsabilités défensives de Philippe Dex, tandis que l’autre, tournée vers l’intérieur, symbolisait le pouvoir civil de son fils Renaud, maître et échevin de Metz.

L’histoire de cette porte est-elle liée à celle des Paraiges ?
Oui, les Paraiges sont les familles les plus influentes de Metz, des familles très anciennes qui étaient au nombre de six. Ces familles puissantes ont progressivement accaparé le gouvernement de la ville et étaient directement impliquées dans l’entretien des fortifications. Il est fort probable que chacune de ces familles ait été en charge de la gestion d’une porte. Par exemple, au début du XVIe siècle, on sait que la Porte des Allemands était administrée par Philippe Dex, un membre des Paraiges, et les travaux de rénovation et d’agrandissement ont été réalisés à sa demande.
Ce système s’appliquait également à d’autres portes de l’enceinte. Ces familles étaient garantes de l’indépendance de Metz, une ville convoitée car elle était à la fois libre et prospère. Il ne faut pas oublier que Metz était une plaque tournante du commerce de l’argent, avec ses tables de change, et un centre de prêt financier. À une époque où les remboursements n’étaient pas toujours garantis, il était crucial d’afficher la richesse de la ville et sa capacité à se défendre en cas d’attaque.
Et cette porte, elle sert aussi comme symbole de la puissance messine ? On voit que cette porte est massive, visuellement imposante.
Effectivement, toutes les portes de l’enceinte de Metz devaient avoir une allure similaire à celle de la Porte des Allemands, bien que certains détails architecturaux aient pu varier. Par exemple, la porte Serpenoise avait un boulevard circulaire. Toutefois, l’essence restait la même : des portes du XIIIe siècle doublées plus tard par des boulevards. La porte des Allemands, particulièrement imposante, devait sa solidité à la présence de la Seille qui la traversait. Elle a également survécu aux nombreuses transformations de la ville, notamment lors de l’annexion.
C’est l’un des rares exemples du patrimoine médiéval de Metz qui a perduré au fil des siècles. Aujourd’hui, il est fascinant d’imaginer la ville dans sa configuration d’origine, avec ses cinq ou six kilomètres de fortifications, ses portes monumentales et ses ponts fortifiés. Cela devait être impressionnant.
Pour perpétuer cette mémoire, des événements culturels ont lieu à la porte. Notamment une exposition qui marque les dix ans de la réouverture de la porte des Allemands. Vous y avez contribué. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Cette exposition est particulièrement intéressante car elle combine l’histoire de la Porte des Allemands et les travaux archéologiques menés lors des fouilles. Elle revient également sur la manière dont la porte a repris vie culturellement depuis sa réouverture, il y a maintenant dix ans. C’est une occasion de montrer comment les Messins se sont réapproprié ce lieu emblématique pour en faire un espace vivant et dynamique, comme nous l’utilisons aujourd’hui.

Les Messins semblent très attachés à leur patrimoine, notamment lors des Journées Européennes du Patrimoine où les monuments historiques attirent les foules.
Absolument, on est un peu chauvins, on aime notre porte. C’est un magnifique exemple de l’architecture médiévale que nous possédons. D’autres éléments subsistent également, mais ils sont parfois moins connus. Peut-être qu’à l’avenir, nous redécouvrirons ces trésors cachés en nous déplaçant davantage dans la ville.
La porte des Allemands est entourée de nature aujourd’hui. On y voit souvent des cygnes. Était-ce déjà le cas à l’époque ?
Oui, à l’époque aussi. La Seille coulait ici et de part et d’autre de la porte, il y avait des jardins et des espaces de culture. Il y avait également des artisans, par exemple des cordiers qui fabriquaient des cordes. Il y avait donc une véritable vie autour de la porte, et des animaux étaient présents, tout comme aujourd’hui.

Vous avez évoqué le patrimoine à découvrir. Si l’on commence une visite à partir de cette porte, quel itinéraire recommanderiez-vous ?
Il existe un circuit appelé « le circuit des remparts ». Après avoir visité la porte des Allemands, je vous recommande de continuer vers la Moselle. Vous passerez à proximité des fortifications, notamment d’un pont qui, bien qu’il ne soit plus fonctionnel car la Seille ne passe plus en dessous, est l’un des quatre ponts fortifiés qui existaient à Metz au Moyen Âge. Ce pont présente des marques de tâcherons, ou signes lapidaires, gravées par les tailleurs de pierre de l’époque pour marquer leur travail et être rémunérés. C’est un petit fragment d’histoire fascinant.
Nous avons encore la chance d’avoir encore cette porte des Allemands et environ 1 km de fortifications préservées. Il ne faut pas non plus oublier la tour Camoufle, près du square de l’avenue Foch, un autre témoignage de l’histoire fortifiée de Metz. Il y a tant à découvrir, il suffit de se promener et d’ouvrir les yeux.
Retrouvez l’interview en format audio sur le SoundCloud de TOUT-METZ :
*La transcription écrite diffère légèrement de la version audio afin de garantir une meilleure lecture.
Merci à Mylène Parisot on voit qu’elle aime Metz elle est superbe