Politique & social

La réintroduction du grand tétras dans les Vosges fait polémique

Où sont donc passés les grands tétras ? L’espèce est considérée comme au bord de l’extinction dans le massif vosgien. S’il est extrêmement difficile de les compter avec précision, les spécialistes estiment que seulement une poignée d’individus demeurent à l’état sauvage, malgré près de 30 ans de protection par les autorités et les associations locales. 

La préfecture des Vosges vient de donner son feu vert à un « projet de renforcement du grand tétras », une dernière tentative visant à sauver de la disparition cet oiseau emblématique de la région. Loin de faire l’unanimité, l’opération provoque une levée de boucliers chez de nombreux défenseurs de la biodiversité. De Vincent MUNIER au Parc de Sainte-Croix, les acteurs lorrains se déchirent sur la question. 

Le projet de renforcement, ou de réintroduction, prévoit la capture de 40 oiseaux sauvages (mâles et femelles) par an en Norvège, cela à « titre exploratoire pour une période initiale de 5 ans ». Ces individus seront ensuite relâchés dans les Vosges.

Grand Tétras, ou Grand coq de bruyère, du parc de Sainte-Croix (Crédit : Anthony KOHLER – Parc de Sainte-Croix)

La Norvège compte plus de 200 000 grands tétras et près de 15 000 sont chassés chaque année, selon des quotas déterminés par l’organisme gestionnaire des forêts publiques. Les oiseaux « prélevés » pour être acheminés dans les Vosges compteront dans les quotas établis afin de maintenir un « effet neutre » sur la population du pays. 

Le transfert des tétras s’accompagne d’un plan d’accompagnement pour l’amélioration de la qualité de leur habitat pour un coût total de 200 000 € par an. Ces initiatives sont portées par le Parc naturel régional des Ballons des Vosges, dans le cadre d’une stratégie pilotée par l’État et soutenue par la région Grand Est. 

Malgré l’aval de la préfecture des Vosges, le soutien de La Ligue de Protection des Oiseaux en Alsace et d’Alsace Nature, l’opposition au projet est vivace. La population de grand tétras du massif vosgien est passée de plus de 500 à quelques individus en 30 ans pour diverses raisons. Les plus évidentes sont le changement climatique et le surtourisme. Les opposants estiment qu’il n’est pas envisageable de réintroduire le grand tétras tant que ces problèmes fondamentaux n’ont pas été résolus.

Vincent Munier mène la fronde

En février 2023, le projet avait suscité des avis défavorables émis par le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) et par le Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Une nouvelle mouture se focalisant sur les mesures d’accompagnement avait alors été produite. Néanmoins, la consultation publique menée du 4 au 24 mars avait recueilli près de 1 000 contributions, avec une large majorité d’avis défavorables. 

Beaucoup craignent que ces oiseaux habitués au climat norvégien soient incapables de s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie. Le photographe animalier Vincent MUNIER s’est imposé comme une figure de l’opposition. Dans une tribune publiée sur Facebook le 17 avril 2024 il dénonce ce projet qu’il juge démagogique et sans espoir.

Étant donné que la population de Grand Tétras est éteinte, pourquoi ne pas, dans les années à venir, travailler sur les milieux, la quiétude de manière significative, avant d’aller chercher des oiseaux ? Se donner les moyens d’une réussite, là l’on va droit à l’échec en toute précipitation, et sans aucune écoute des associations compétentes, et dans une urgence qui n’a, en raison de notre insuffisante action jusqu’alors, malheureusement plus lieu d’être ?

Ce projet va faire un énorme flop et nous pouvons nous attendre à déceler dans sa communication des manipulations de chiffres, comme nous l’avons vu au moment de la consultation publique (nombre d’oiseaux restants erroné). Il va probablement faire référence, en tant qu’exemple de ce qu’il faudra éviter d’engager à l’avenir.

Notre priorité absolue devrait être non pas de s’occuper d’une seule et unique espèce qui ne peut plus vivre ici, comme ce sera le cas, hélas, de bien d’autres espèces à l’avenir, mais de focaliser notre attention et notre énergie sur la conservation et la reconquête de nos forêts de montagne, avec toute la diversité d’espèces animales, végétales, fongiques et microbiennes qui les composent, les structurent et les rendent uniques. Nous avons tant à y gagner en termes de connaissance, d’émerveillement, de respect, d’admiration, de ressourcement, de poésie et de sécurité.

Extrait de la tribune de Vincent MUNIER

5 associations (SOS Massif des Vosges, Oiseaux Nature, Vosges Nature Environnement, Paysages Nature et Patrimoine de la Montagne Vosgienne) ont ensemble déposé un recours au tribunal administratif de Nancy en fin de semaine dernière pour tenter de stopper le processus avant les premières opérations de réintroductions. La décision doit être rendue prochainement.

Le Parc de Sainte-Croix prend position

Le plan de renforcement divise, mais il compte tout de même des soutiens notables. Le Parc de Sainte-Croix a choisi d’apporter son soutien au projet. Acteur de la préservation de la biodiversité, le parc animalier héberge des grands tétras depuis 1988. Dans un communiqué de presse publié le 24 avril, les équipes du parc animalier estiment qu’il est impératif d’agir sans attendre.

Nous sommes aujourd’hui dans la 6ème extinction de masse. En moins de 40 ans, c’est près de 800 millions d’oiseaux qui ont disparu en Europe. Nous devons défendre la biodiversité dans son ensemble. Nous sommes conscients que ce projet peut échouer, mais il n’aura jamais autant fait parler de l’espèce, et ne rien faire serait pire. Cependant, le tétras ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, car c’est l’ensemble de la biodiversité et des écosystèmes locaux qui sont remis en cause et qu’il faut mettre en lumière. Il est essentiel d’avancer ensemble dans ce combat et de trouver des solutions durables pour traiter le problème à sa source.

Communiqué du Parc de Sainte-Croix

Le Parc met en avant les engagements en faveur de la biodiversité compris dans le plan de réintroduction. Ce dernier prévoit la mise en place de moyens supplémentaires pour la surveillance et la médiation, l’amélioration de la quiétude par des travaux (canalisation, renforcement de la signalétique, etc.). Il contient également des mesures concernant la chasse, à l’image de l’interdiction de l’agrainage sur les bans communaux concernés par les lâchers.

« Nous invitons également les pouvoirs publics et politiques à avoir le même courage pour le lynx que pour le tétras. L’Allemagne a aujourd’hui 3 programmes de réintroduction sur le lynx avec une vision claire de méta population, quand la France n’en a encore aucun », conclut le communiqué.

De l’opposition philosophique, à l’affrontement judiciaire, la polémique ne cesse de prendre de l’ampleur et gagne désormais une résonance nationale. Elle oppose des acteurs aux volontés similaires, mais aux avis divergents, dans une lutte fratricide autour du grand tétras. Le dossier ne fait que commencer et ce projet promet de faire date dans l’histoire des grandes opérations de réintroductions.

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