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« A l’année prochaine » se sont-ils dit un 29 octobre

A Metz, comme partout ailleurs en France, la « dernière séance » s’est jouée un peu partout ce jeudi 29 octobre 2020 dans les boutiques, les entreprises, entre amis ou en famille, mais aussi entre commerçants et clients, et enfin dans les bars et les restaurants où beaucoup sont venus grapiller au détour d’un cocktail quelques derniers instants d’une sociabilisation qu’il va falloir attendre un temps, incertain, avant de retrouver. A minuit, le confinement annoncé par le chef de l’Etat pour ramener les contaminations covid-19 à un niveau « digérable » allait entrer en vigueur.

La soirée humide et un peu fraîche n’avait pas éteint la volonté de centaines de personnes de profiter d’un dernier resto ou d’un dernier verre dans un bar. Ceux-là ont ainsi pris le relais des milliers de personnes venues faire des achats en ville dans la journée, certaines pour soutenir le commerce local, d’autres simplement par anticipation. D’autres enfin, avaient choisi de joindre journée et soirée pour humer le plus possible l’ambiance de leur ville animée, avant sa plongée en catalepsie et la limitation forte de leurs propres déplacements.

Un dernier verre en terrasse (ici Place St Louis à Metz), pour la dernière soirée avant le début du second confinement

Qui plus est, cette « dernière soirée » s’est déroulée alors même que des événements très graves ont émaillé la journée un peu partout en France, Avignon, Nice… venant s’ajouter au bilan d’un dernier trimestre déjà très lourd (même si à des degrés divers) avec le meurtre de l’enseignant Samuel PATY, la pression sur la liberté d’expression en France, les divisions qu’elle crée, les mauvais chiffres de contamination en hausse, le nombre de morts, la perspective de savoir les soignants à nouveau soumis à une tension insupportable, la (re)mise à l’arrêt de toutes les activités et animations… et la perspective d’une soirée de Noël en comité très restreint.

Une dernière soirée qui, cela semble évident, aura aussi permis au virus de bien circuler jusqu’à 22h, voir plus. Humain, paradoxal, évident, gênant, égoïste mais aussi fataliste constat de la nature humaine qui a redécouvert en partie en 2020, à quelle point « faire société » était plus vital qu’on ne le pensait, quitte à prendre le risque d’une sociabilisation pouvant apporter la maladie ou la mort. Perturbant.

« A l’année prochaine ! »

Beaucoup aux terrasses ou devant les portes des établissements ouverts semblaient convaincus que les fêtes de fin d’année se feraient sous confinement. Sans se prendre pour les « spécialistes » qui se succèdent depuis des mois sur les plateaux des chaînes d’info en continu pour déblatérer ad nauseam1 tout et son contraire histoire de flatter leur notoriété et leur ego au prix de la zizanie et de la méfiance, leur analyse de « simple citoyen » s’appuyait sur la lecture de l’objectif chiffré annoncé par Emmanuel MACRON (passer de 40.000 à 5.000 contaminations par jour), et de la première date cible pour l’atteindre : le 1er décembre 2020.

Dans certaines circonstances, une petite phrase est rapidement adoptée par le plus grand nombre, tant elle illustre le sentiment du moment, tant elle est de rigueur, tant la situation l’impose, tant elle permet d’enrober les craintes dans une locution positive ou teintée d’humour.

« Prenez soin de vous », qui tenait le haut de l’affiche depuis plusieurs mois, a semble-t-il été détrônée ce jeudi soir par une autre, empreinte d’un humour à la fois réaliste et désabusé : « A l’année prochaine ».

Car peu, même parmi les plus optimistes, croyaient ce 29 octobre qu’une grosse trentaine de jours suffirait à ramener les chiffres de contamination au niveau « acceptable » avant le 24 décembre et ses rassemblements familiaux « potentiellement dangereux pour ses proches », ni avant le 31 décembre, et ses rassemblements arrosés rapidement qualifiés de « covid-party ». Le Président de la République a annoncé 1 mois, beaucoup parient sur 60 jours, et encore, a minima.

Ce soir du 29 octobre 2020, un restaurateur, un commerçant dans le textile, la patronne d’un salon d’esthétique, un banquier, un stomatologue, une avocate, un agent immobilier, la patronne d’une agence d’événementiel, deux artistes, une barmaid, un chef d’entreprise et un journaliste étaient accoudés au bar, échangeant sur leurs craintes, leurs certitudes, leurs projets jetés à la poubelle et ceux maintenus au tableau de 2021, leurs familles, leurs prochaines vacances, la date du retour des embrassades, l’oncle atteint du covid, l’école, le sport ou les travaux à faire pendant le confinement, le nouvel attaquant du FC Metz, l’A31, le nombre de « vagues » encore à venir…

Ce soir du 29 octobre, au moment de se quitter, c’est avec le regard rempli d’une certaine crainte d’avoir raison, qu’ils et elles se sont dit « à l’année prochaine » avant de rentrer chez soi remués par des sentiments partagés, et l’espoir que 2021 entravera moins leur liberté de se déplacer autant que de s’exprimer qu’en 2020, année inoubliable mais à oublier.

Pour les déplacements au moins, cela dépendra de chacun d’entre nous, car nul ne niait ce 29 octobre que si le virus circulait à cette allure, c’était bien parce que collectivement nous avions trop baissé la garde. Pour la liberté d’expression, aucun doute n’est permis : celui qui fera taire les français, ses dessinateurs et ses professeurs n’est pas encore né, et il n’est pas près de venir au monde.


1) ad nauseam : « jusqu’à la nausée »

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