Culture & spectacles

La langue d’Anna au Théâtre du Saulcy

Ce jeudi 10 avril à 20h sera jouée au Théâtre du Saulcy la pièce de Bernard Noël intitulée La langue d’Anna, mise en scène par le très ovationné Charles Tordjman, dont les dernières créations ont été couronnées de succès. Monologue touchant d’une femme, d’une actrice, la voix d’Anna Magnani qui jaillit à nouveau par le texte alors qu’elle-même n’a jamais su s’en contenter, du texte, de l’écrit, tandis qu’en elle hurlaient des milliers de voix qu’elle ne pouvait exprimer autrement que par la sienne propre, directe, par son être, le son extérieur, final, émis par son corps comme le dernier intermédiaire visible entre le réel (devant, autour) et l’abstrait.

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Anna Magnani, la première à parler, la première visible, éclatante et à jamais vivace.

Durée : 40 minutes

Tarifs : 12€/8€/5€/3€ – étudiants/demandeurs d’emploi: 5€

Directeur du Théâtre de la Manufacture de Nancy, dramaturge… les nombreuses facettes de Charles Tordjman attestent d’un réel attachement au théâtre contemporain et l’écriture d’aujourd’hui, n’en démentent ses régulières collaborations artitiques avec les écrivains François Bon et Bernard Noël, dont il signera la mise en scène de certaines de leurs pièces, nottamment Daewoo, écrit en 2004 par François Bon. Créée au Festival d’Avignon, Daewoo recevra le Molière du meilleur spectacle de théâtre public en région et le Prix de la Critique (meilleur spectacle de la saison), décerné par le Syndicat Français des critiques théâtre, musique et danse.

La coopération entre Charles Tordjman et Bernard Noël a également donné naissance à de vifs succès, telle que l’adaptation de La nuit des rois, de Shakespeare (1991), ou encore plus récemment La rencontre de Gramsci (1997) et Le retour de Sade (2005).

Poète (Prix National de Poèsie en 1992), romancier, essayiste, politique, historien, critique d’art, Bernard Noël, né le 19 novembre 1930, a su tout au long de sa carrière artistique témoigner de l’histoire et des évènements qui ont marqué sa génération (Explosion de la première bombe atomique, découverte des camps d’extermination, guerre du Viêt-nam, guerre d’Algérie…) et jusqu’à sa propre vie. Pourquoi je n’écris pas ? Est la question qui semble être la première fêlure à son silence, rattrapée quelques années plus tard par son contraire : Pourquoi j’écris ? L’inverse, l’opposé, la dualité s’exprimant d’une seule et même voix, authentique. « Figure impressionnante d’un écrivain qui pense sa propre histoire dans celle du monde qui l’entoure, qui réussit à faire coïncider le réel et l’imaginaire […]. » irrémédiablement l’écrivain s’imprègne de ce monde extérieur dont il s’approprie la dure réalité, la sévère vérité.

La langue d’Anna, écrit en 1997, témoigne de cette attribution du réel en donnant une seconde voix à la célèbre actrice italienne Anna Magnani, (ici interprétée par la comédienne Agnès Sourdillon, égérie de Charles Tordjman avec qui il travaille déjà pour Daewoo), inoubliable actrice du cinéma italien, vue notamment dans le film de Rossellini Rome ville ouverte (1945), considéré par ailleurs comme le premier film néoréaliste d’après-guerre.

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Actrice formidable, talentueuse, écorchée, aussi à l’aise dans la comédie que la tragédie, Anna Magnani reçoit l’Oscar de la meilleure actrice pour sa performance dans le film La rose tatouée de Daniel Mann, d’après l’œuvre de Tennessee Williams, dont elle était à l’époque très proche. Glorifiée, elle tourne avec les plus grands réalisateurs italiens de 1950 à 1970. Rencontres de légende, succès, sa vie personnelle n’en est pas moins bousculée, douloureuse, au chevet de son unique enfant atteint de poliomyélite. Le dernier film dans lequel elle apparaît est Fellini Roma, en 1972, avant de s’éteindre d’un cancer, l’année suivante.

Dans La langue d’Anna l’actrice parle, à nouveau, enfin, se confie, évoque son corps, son passé, son présent « mortel », sa rage…

« Je ne sais pas écrire. J’ai essayé sans conviction parce que ma langue n’est pas faite pour le papier. Je suis trop directe en ce sens que j’ai besoin de la réplique pour faire avancer ma parole. J’ai toujours beaucoup de bruit en moi, des cris, un brouhaha, une rumeur, et tout cela, qui monte spontanément vers ma bouche, ne saurait descendre vers ma main. Je n’apprends pas un rôle, je le retrouve parmi toutes les voix enfouies dans ce bruit, et j’en fait monter le ton afin de l’identifier puis de le tirer de là comme on tire d’un écheveau embrouillé le fil choisi. Je ne sais pas le texte : je sens chaque soir le filet de sa voix particulière devenir la sonorité de la mienne, et c’est un plaisir sans pareil que cette copulation vocale dont les mouvements sont aussi bien des pulsions de sens que des flux de vie. »

« Elle parle. Elle jette sa vie sur sa langue. Elle a toujours voulu tout et tout de suite. Elle est une comédienne célèbre. Elle a beaucoup parlé avec les mots des autres. Elle n’avait pas le temps de sa propre vie, mais voilà que son corps l’a rattrapée, l’a même doublée. Elle met du passé dans ce présent trop mortel. Elle appelle ses amis : Fellini, Pasolini, Visconti. Elle
sait qu’il est trop tard. Elle ne s’y résigne pas. Elle ne s’est jamais résignée… »
(Bernard Noël)


Sources photographies : Théâtre de la Manufacture

Liens utiles :

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  • Blog de Charles Tordjman
  • Site du scénographe : vic-net

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