Culture & spectacles

Rain – comme une pluie dans tes yeux, par le Cirque Eloïze

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6 créations, 3000 représentations dans 300 villes et plus de 30 pays, le Cirque Eloïze est à ce jour l’une des figures de proue du cirque contemporain avec plus de 2,5 millions de spectateurs dans le monde. D’importantes créations évènementielles leur sont attribuées en plus de leurs spectacles comme des galas internationaux, interventions télévisuelles, etc… ainsi que la création du premier festival des arts du cirque en Amérique du Nord intitulé « La semaine des arts du cirque », aux îles de la Madeleine.

Rain plus particulièrement, est l’une de ses dernières créations et le fruit d’une étroite collaboration entre le Cirque Eloize et l’auteur et metteur en scène italien Daniele Finzi Pasca (et le Teatro Sunil), avec qui a également été créée la cérémonie de clôture des XXème Jeux Olympiques d’Hiver de Turin, ou encore le spectacle Corteo par le Cirque du Soleil.

Excellence, talents, performances acrobatiques, émotions, tout s’abat dans un déluge de vie et d’humanité !

Avant propos :

Dans la série Thomas fait le tour du monde pour aller voir un spectacle je me suis permis un nouvel épisode. D’ailleurs je me suis permis de créer une série intitulée : Thomas fait le tour du monde pour aller voir un spectacle. Et même s’il est question d’aller chercher ailleurs ce que je n’ai pas trouvé ici, l’élaboration de cet article ne résulte en rien d’une éventuelle lacune d’un point de vue des programmations de nos salles régionales que je tenterai présentement de dénoncer en me lamentant qu’il faille partir. Bien au contraire ! J’ajouterai même que tout est là, déjà, devant nous, que tout vient ou fini par venir au plus près. Simplement, je suis parti parce que je crois pour moi qu’il est bon, parfois, de céder à une certaine extravagance (quoiqu’il ne s’agisse pas d’être extravagant sinon un peu excessif…) et d’aller voir loin, plus loin, si l’on peut. Bien sûr il s’agit là de n’aller voir qu’un spectacle, ce qui peut paraître absurde, cependant quelques uns diront, au même titre qu’un concert, que certains évènement, du fait de leur rareté, méritent amplement d’accomplir ce voyage, ce double voyage que sont à la fois le déplacement et la représentation en elle-même, et qui ne demande qu’un retour, géographique celui-là, alors qu’il s’agit pour le second de voguer perpétuellement sans réel besoin d’aboutir.

En l’occurrence il est question du Cirque Eloïze et de son spectacle Rain, comme une pluie dans tes yeux, pour lequel je me suis déplacé à Brest et qui, après Paris cette semaine, repartira pour le Québec d’où la compagnie est originaire, des îles de la Madeleine précisément. (Attention, aux besoins, un océan de m’arrêtera pas !)

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Le Cirque Eloïze c’est d’abord sept jeunes artistes diplômés de l’Ecole des Arts du Cirque de Montréal qui se réunissent, en 1993, autour d’un projet, d’une volonté créatrice qui se préparera consciemment et avec obstination, à sublimer chacun des gestes pour lesquels ils se sont spécialisés. Julie Hamelin et Jeannot Painchaud, entres autres co-fondateurs du Cirque Eloïze, ce sont résolument battus pour que cette volonté aboutisse et persiste, autant du point de vue de la création que de la production et de la diffusion de leurs spectacles.

Et c’est en 1997, avec leur seconde création intitulée Excentricus, qu’ils réussissent définitivement à imposer au devant de la scène internationale l’originalité et l’exigence d’une nouvelle forme d’art de la scène exploité par le déjà puissant voisin Cirque du Soleil (avec 9 créations en 1997) au côté duquel il semblait difficile de faire autorité. Cependant, A l’instar de leur homologue montréalais, c’est majoritairement en théâtre et non sous chapiteau que le Cirque Eloïze évolue, et là réside l’une de leur principale (mais rare) dissimilitude, et leur première originalité.

Le nouveau Cirque, Le cirque contemporain tel qu’il se présente ici, reste pratiquement similaire d’une troupe à une autre. Le spectacle prend vie de toutes les façons possibles, il est tour à tour musique, danse, théâtre, arts du cirque… et au travers de ces multiples facettes il incarne un théâtre hybride (et non bâtard) pour lequel il parut bon d’ajouter l’adjonction contemporain, comme un postscriptum, à défaut d’avoir trouvé d’autres termes, plus adéquats, susceptibles de pouvoir définir avec plus de précision cette nouvelle forme artistique.

Au milieu des années 1990, Le cirque contemporain est en plein essor, accueilli avec le même entrain et ovationné de cette même fougue que d’autres pièces de théâtre ou de danse seule. Il est programmé dans les plus grandes salles, accueilli dans les métropoles du monde entier, invité, encensé. Le nouveau cirque tire ses lettres de noblesse à cette façon d’être tout et partout, adaptable, démontable, rétractable, il incarne même une nouvelle démocratie, un idéal politique, il peut être vu par tous et, au-delà du fait qu’il soit populaire, il démocratise le spectacle et mélange les disciplines. Mieux encore, au sein même d’une troupe il est un véritable brassage culturel et artistique. Le cirque contemporain puise sa légitimité dans le nombre infini des possibilités qu’il met à disposition à des fins créatives, et, à sa seule volonté d’exceller, il se libère de lui-même des obstacles qu’il lui restait à affronter.

Le nouveau cirque a pris place, sa place!

Le Cirque Eloïze incarne, très tôt, l’un des brillants exemples de cette ascension et ne tarde pas à triompher, quatre années après sa création, dans les plus grandes villes du monde. Excentricus est un succès à l’Opera House de Sydney ou encore à la mythique salle de spectacle londienne du Sadler’s Wells dans laquelle se jouera la pièce pendant près d’un mois entier. Edinburgh, Jerusalem, Hong Kong, Bogota… Cette performance artistique pour quinze artistes (acrobates, trapézistes, musiciens, jongleurs, …) sera joué plus de 500 fois !

En 1999, deux ans plus tard, né Cirque Orchestra, créée pour le Festival International de Lanaudière ce nouveau spectacle partage la scène avec un orchestre philarmonique (ici accompagné par le prestigieux Orchestre Métropolitain de Montréal). Cette nouvelle production allie brillamment les arts du cirque, la danse contemporaine et la musique classique et, sans surprise, s’impose comme un nouveau succès retentissant pour la troupe québécoise. Cirque Orchestra est applaudi à New York, Tokyo et Los Angeles, accueilli dans de prestigieuses salles.

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Mais c’est en 2002 que s’opère un tournant capital pour la compagnie : une rencontre décisive avec l’auteur, metteur en scène, chorégraphe et clown italien Daniele Finzi Pasca et le Teatro Sunil (qu’il fonde en 1983 à Lugano, Italie, compagnie comptant à ce jour près de trente créations de théâtre et de danse). De cette réunion nait le premier volet d’un tryptique intitulé La Trilogie du Ciel : Nomade – la nuit le ciel est plus grand, première collaboration entre le Cirque Eloïze et Daniele Finzi Pasca dont il signe l’écriture et la mise en scène, scelle définitivement le mariage des arts, de la poésie et de l’humanité qui définissent essentiellement le travail de cet étonnant metteur en scène. 

Nomade, au même titre que Rain (2004) et Nebbia (2007) spectacles qui forment l’ensemble de la trilogie, s’efforce d’explorer le plus délicatement possible les thématiques de l’émotion et des souvenirs liés à l’enfance.

En effet, les images qu’il anime sont empruntes d’une douce nostalgie, costumes d’époque, larges vêtements de bain, hommes forts et cheveux gominés, comme autant de vestiges iconographiques doucement vieillots, surannés, emprunt de joie et d’une tristesse lointaine qui confère à chaque instant le plaisir d’être là, partout à la fois, avant et maintenant. Présent et passé se conjuguent au même titre que la fiction et la réalité. C’est pourquoi le spectateur garde sa place (« Les protagonistes de cette aventure apparaissent sur la scène puis commencent un dialogue avec les spectateurs en les regardant directement dans les yeux […] »), alors que la scène se voit métamorphosée en une estrade de cabaret, toujours ambiance 1900, indescriptiblement paisible et joyeuse. Nous sommes là, présents, alertes, alors que surgit du passé pour nous rejoindre cet incroyable cortège sobrement coloré dans sa gracieuse désuétude.

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« Les artistes sont sortis d’un temps passé, sortis de quelques vieilles photos, beaux et forts »

C’est ainsi que Daniele Finzi Pasca dessine son emprunte, subtilement, dans chaque image, chaque scène, chaque geste dont l’habilité rappelle à l’humain son extraordinaire capacité à émouvoir par sa simple et pure beauté. C’est également de cette manière qu’il rappelle à l’humain sa propre humanité, dans la fragilité, la douceur ou l’éclat.

« Cette histoire prend forme dans un théâtre, dans un théâtre où un spectacle de cirque est en répétition, où la représentation et la réalité se confondent. Les regards entre les protagonistes révèlent des petites histoires d’amour, des passions secrètes, des fragments d’intimité. La fragilité de chacun fleuri lentement, émerge dans le moment ultime de l’effort, dans le jeu des équilibres extrêmes »

Un éclat d’une merveilleuse volupté que l’on retrouve dans Rain – Comme une pluie dans tes yeux, créée en 2004. Le même souvenir enlacé, voluptueux, qui se glisse partout et dont on s’imprègne doucement comme un parfum ou une caresse. D’ailleurs tel est le discours du metteur en scène à propos de Rain : « S’il fallait que je décrive ce spectacle, je dirais qu’il est plein d’espoir et de joie, et d’une tendre nostalgie, et qu’il est fait de la même étoffe des histoires que racontait ma grand-mère. […] Il s’agit d’un spectacle qui se veut comme une caresse, simple et directe, pleine de sensualité et d’un doux espoir. »

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Une sensualité qui s’accorde tout à fait avec la fantaisie. Fantaisie de l’image, des corps, de la musique, scènes d’humour surprenantes et d’autodérision comme celle, particulièrement, où l’une des interprètes en appelle au public, le questionne : « Quelqu’un pourrait-il m’expliquer ce spectacle ? ». Caprices fantasques ou beauté poignante, chaque instant possède son imaginaire, sa touche particulière. Dans Rain, tout vole, se balance ou disparaît : hommes, femmes, ballons… on met des gens dans des valises (pauvre Nadine…), on jongle avec des valises (plus petite), on fait le grand écart dans des draps suspendus sur lesquels la lumière explore par intermittence la fantastique habilité des corps dans l’excellence.

« Sur notre scène on ne fera pas seulement pleuvoir, mais aussi précipiter des surprises… »

Au croisement des corps et d’une formidable mise en lumière surgit une poésie, rare, et intense du fait de cette étonnante simplicité. Oui, tout y est simple et direct. Tendre, d’une infinie tendresse qui nous accompagne tout au long de ces deux heures au cours desquelles se savourent litéralement cette incroyable aisance de geste et de la narration, baignés d’un réel éclat de beauté.

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Tout se révèle, s’éveille, comme la puissance d’une lumière diffusée par une lente progression. Le réel s’impose avec une évidente clarté. Le souci du détail est ici ornement, et il transparait partout, dans les mouvements, les intentions, les acrobaties, le texte magnifique. Car certaines scènes sont ponctuées de monologues très courts, sublimes émergence de quelques souvenirs dont les simples mots suffisent à invoquer l’image. Et lentement, de cette réalité concrète d’où nous sommes partis et sur laquelle inconsciemment nous flottions, se propage l’eau du ciel autour de laquelle gravite l’histoire du spectacle, l’eau vive, pleine de larmes (joie ou tristesse), l’eau salvatrice qui une fois sur la peau fait hurler la vie. On s’immerge peu à peu. L’eau se propage et inonde. On nous avait prévenus qu’il n’y aurait pas d’eau mais elle survient, inévitable. L’eau tombe alors même que nous nous croyions protégés par un toit. C’est dire avec quelle facilité l’imaginaire s’est habilement immiscé dans cette réalité là, dans laquelle nous pensions être restés. Alors on accepte de vivre pleinement cette fantaisie, ce rêve éveillé, ce retour inévitable du souvenir mouillé.

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Le Cirque Eloïze était là, se servant de l’immense salle noire et neutre dans laquelle nous étions comme point de départ à un retour, un rêve d’autrefois où l’on se souvient d’avoir vécu, où l’on se souvient qu’il a plu, un jour, sur son visage et que cette sensation, a été l’émergence d’un instant de vie. Un point de départ. Des points de départ incessants comme autant d’averses successives.

« Tu dois toujours te souvenir du premier orage de l’été, n’ouvre pas ton parapluie, laisse l’eau de la vie ruisseler sur ton corps. Le bonheur est comme la pluie, il arrive inopinément, puis s’en va sans crier gare. Ce genre de souvenir ne s’efface jamais. »

Ce qu’il en reste est un réel bonheur d’avoir vécu, de s’être souvenu et d’avoir partagé ces instants successifs d’émotion pure. Oui, tout était très simple, joyeux même, véritablement joyeux. « Laisse pleuvoir » comme il dit, laisse l’eau t’envahir comme une étreinte et un espoir. Et avant qu’elle disparaisse laisse-la devenir un souvenir capable de ressurgir, intact, Laisse-la se loger définitivement dans un recoin de ta tête.

« Pourvu qu’il pleuve » avait-on dit en sortant ce jour-là, alors que la Bretagne, pour une fois oserai-je dire, brillait sous un étonnant soleil.

CIRQUE ELOIZE – Rain, comme une pluie dans tes yeux – (création 2004)

CIRQUE ELOIZE – Nebbia – (dernière création 2007)


Sources photographiques : Cirque Eloïze

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