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L’oeuf de jument de Nicolas, brave Angevillois

Dans le cadre de notre série d’articles sur les contes et légendes de Lorraine, voici l’histoire de l’oeuf de jument qui a réussi à berner une vingtaine de paysans à la fois.

parchemin contes et légendes

Un œuf à pépins

Angevillers est un petit village qui se trouve juste sous la frontière luxembourgeoise. On y parlait autrefois un patois qui ressemblait beaucoup au luxembourgeois, ce qui donnait à cette époque aux habitants d’Angevillers une réputation de nigauds. L’histoire qui suit en est l’illustration…

Il y avait à Angevillers un paysan qu’on appelait le Nickel (Nicolas dans le patois du coin), qui allait à Thionville pour la première fois. Arrivé sur la place du marché, il aurait vu un énorme fruit orangé : une citrouille. Mais le Nickel n’avait aucune idée de ce que c’était, alors il demanda au marchand :

  • Qu’est-ce que c’est que ce machin ?
  • C’est un oeuf de jument. Couvez-le pendant quinze jours et il en sortira un poulain.

Le Nickel a toujours voulu avoir un cheval : il achète l’oeuf, et le couve pendant quinze jours dans son lit, pendant que son épouse Sidonie travaillait pour deux à la ferme.

Mais au bout de quinze jours, rien ne s’était passé.

Le Nickel envoie alors la Sidonie à Thionville pour demander conseil au marchand. En revenant, elle lui annonce qu’il faut faire rouler l’oeuf sur le versant d’une colline pour aider le poulain à éclore.

Alors le Nickel se lève, et suivi de toute une troupe de paysans, monte la colline la plus proche et fait rouler son oeuf. La citrouille prend de la vitesse et finit par se fracasser contre une souche. Mais l’accident a dérangé un lièvre dans son terrier, qui se trouvait juste sous la souche !

Au moment où le fruit éclate, le lièvre bondit et s’enfuit. Malheureusement, personne n’avait pensé à emmener son chien de chasse…Le Nickel est donc rentré chez lui en renonçant à son rêve de cheval.

Ce conte qui ne met pas en valeur les habitants d’Angevillers, n’a sûrement pas été écrit par eux. Comment expliquer qu’on ait écrit une telle histoire sur des paysans qui n’ont rien demandé à personne ?

Crédit photo : Kata Szikora

Citadins VS ruraux

Jusqu’au 19e siècle, le pays qui s’étend de l’actuelle frontière luxembourgeoise à Thionville faisait partie du Luxembourg. L’empreinte laissée par la culture luxembourgeoise y est donc très forte, à commencer par la langue.

Or, encore aujourd’hui, les gens de la campagne qui ont un très fort accent par rapport à ceux de la ville ont une réputation de sots.

Jusqu’au début du 20e siècle, le Luxembourg était un des pays de l’Europe les plus pauvres financièrement et de ce fait, ses habitants considérés comme « intellectuellement limités ».

On a commencé à développer les réseaux routiers très tard. Si les routes sont mauvaises, si le chemin de fer n’est pas développé, comment l’habitant d’un village pourrait se rendre souvent en ville, même en ne vivant qu’à 25 km de Thionville ?

Comme pour la plupart des contes et légendes, on ne sait pas qui a écrit cette histoire. Elle a sans doute été créée à l’époque où les villes se développaient très vite, alors que les campagnes restaient en arrière. Cette époque est celle des révolutions industrielles de la fin du 19e siècle.

On peut supposer qu’elle est née de cette fâcheuse réputation de benêts des paysans qui ont un fort accent, qui ne connaissent pas la “civilisation” des citadins. Ici, le Nickel est vraiment l’idiot du village, le dindon de la farce, mais aussi et surtout l’image stéréotypée qu’un citadin se fait d’un paysan.

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